La promenade de Guernachanay

Au jeune artiste Peir Simona

Deux heures. Il pleut à torrents. Ils ne viendront pas.
Ma foi, c’est très bien ainsi !
Le visage de mon pays est trop triste sous la pluie
Chemins crottés. Arbres nus pleurant leur eau
Sur des fossés remplis de ronces et de mauvaises herbes.
Le ciel est gris. Grises les pierres.
Têtes sombres. Fâchées. Affligées.

La pluie cesse. Le bruit d’une voiture.
Les voilà. Nous nous mettons en route. Des artistes en visite en Bretagne… Pierres de Bretagne. Ruines de Bretagne.
Ossements, reliques du passé
Aujourd’hui Guernachanay : le château des Koadmoc’han
Autrefois.
Chemins étroits. Tournants abrupts. L’épine noire fleurit partout
Timide et frileuse.
Fleurs légères… flocons de neige.
Le Vieux-Marché. La vieille maison de Lafayette.
La gare. Une côte raide. Des piliers de pierre.
Rubezenn, tertre nu, panorama ouvert
Sur les monts d’Arrée. Sur le Bré. Hoguéné, la montagne rouge :
Colonne vertébrale du pays
Et des clochers. Des clochers tout autour.
Encore des piliers de pierre. Une allée de chênes et de châtaigniers :
Run-Riou. Mon cœur bat :
Marraine. Mes cousins très vieux. Des vieillards robustes et enjoués :
Des amis de la terre
Cette race-là se perd, Ť Les derniers hommes libres ť.
De vieux meubles. Deux cents ans ?
Plus de… trois ans. Pendant trois années entières
L’artisan avait travaillé dans la maison de mon arrière-grand-père
Il avait tourné des fuseaux, des roues solaires :
Des étoiles dans le chêne et l’if.
Une petite armoire au centre du vaisselier
A servi de tabernacle pendant la Révolution.
Antiquités dignes de respect…
Le calvaire de St-Jean relevé. La fontaine.
Pierres sur pierres. Grosses pierres lourdes.
Une pyramide de pierre, portant un saint
L’enfant Jean, petit, fin, ravissant :
Un ange sans ailes. En étrange opposition
A la pierre grossièrement sculptée qui entoure la fontaine.
Dans un champ une construction de pierre.
De belle taille. Solide. Un dôme de pierres herbues :
Le colombier. Encore des piliers.
Une allée bordée de hêtres.
La moitié d’une allée. Stop !… Une jument qui traverse
Le chemin au galop vers le bois.
Une jeune jument. Puissante. Arrogante.
Sans licol ni entrave : Épona !
Le nom jaillit de trois cœurs…
Un ruisseau transparent coule dans d’énormes auges.
Toujours de la pierre.
Le Grand Manoir ! Inutile de le décrire
Les Bretons le connaissent. On voit sa silhouette dans le livre
D’Histoire de Bretagne.
L’art et le génie. La grandeur et l’équilibre.
La beauté et la durée.
L’âme de la Bretagne !

(Sur le chemin du retour)

Le moulin de Pont-Meur. La chapelle Saint-Gilles.
Et des maisons, des maisons qui envahissent la campagne !
Des maisons en ciment armé : boîtes de dominos
Bonbonnières peintes en bleu ou en rose,
Joujoux. La Bretagne francisée.
Ah, ma Bretagne ! Quels somnifères
T’a fait prendre la France ?
Ton âme est endormie
Ton génie est endormi
Ton art est endormi
Ton inspiration…
Sous la pierre grise.
Il est temps que tu te réveilles ! Mon pays aimé
Il est temps que tu te réveilles !
Nous sommes le dimanche de Pâques

Juin 1965

(Traduction Paol Keineg)

Ce poème en breton

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