Pauvre Plouc !

— Grand temps que je me modernise
Dit Yann
Grand temps que j’achète des machines
— Et de faire un Emprunt
Bien sûr —
Et de trimer après
Jour et nuit. Dimanches, fêtes,
Sur mon tout. Hardi !
(Pour payer les millions du prêt.)
— Pauvre Yann !
Laisse les machines au magasin
Crois-moi
Cher homme, tu ne relèveras plus la tête !
Tes outils modernes
Tu n’auras pas fini de les payer
Qu’ils seront bons pour la ferraille…

— Achète-toi plutôt un crayon, vois-tu :
(Tu en auras trois pour dix-huit sous)
Tu trouveras du papier en quantité
Où tu voudras. Autant que tu voudras.
Et assieds-toi pour écrire.
Crois-moi
Cela te sera moins pénible.
Oui, écris, écris
Ce que tu veux. Comme tu veux
Tu trouveras des clients pour te lire
… Oh, tu ne gagneras pas plus
Qu’avec tes machines
Mais tu n’auras pas ton fardeau de dettes.

Et tu gagneras la célébrité
Cher homme. Doux Jésus !
Tu pourrais même te retrouver
Avec une statue après ta mort !
Ou même avant que tu meures
Grâce à ton crayon. Grâce à tes fadaises
Ton crayon de six sous !

Avec tes machines modernes
Tu vas gagner combien ?
Des ventrées de malheur.
La jalousie des uns.
Les moqueries des autres.
Et l’envie d’autres encore :
Et ces chers touristes !
Oh, disent-ils, le paysan
Ça ne fait plus
Que se promener
Sur son tracteur !
… N’est-ce pas ? Voilà
Des gens qui voient clair !
Oui, sur le papier !

Je te le dis
Paysan mon frère
Prends ton crayon et écris,
Tu seras bientôt un homme important,
Que chacun ira louant.
Attends, écoute ce que je te dis
En bas de ton écrit, signe
Si tu veux. Mais attention,
Attention. Mon pauvre homme
Ne donne pas ton adresse
Ta maison se changerait vite
En un lieu pire que l’enfer…

3 avril 1972

(Traduction Paol Keineg)

Ce poème en breton